31.3.1863 L'étranglement de l'industrie chimique

[LUDWIG Philippe]

Bonjour,

Vers 1860, Mulhouse et Thann abritent un potentiel de production et de recherche dans l'industrie chimique qui a alors peu d'équivalents dans le monde pour la fabrication des colorants de synthèse.
Mais un arrêt de justice du 31 mars 1863 entraine l'effondrement de cette prospérité en raison d'une particularité du droit français. La législation sur la propriété industrielle n'a pas prévu la complexité croissante de l'industrie chimique et l'éventualité de parvenir à des produits identiques par des procédés différents. Elle ne protège pas le procédé, mais seulement le produit.
En 1859, Jean Gerber-Keller et son fils Armand mettent au point à Dornach un rouge d'aniline qu'ils font protéger par un brevet. Or une entreprise lyonnaise a également mis au point un rouge d'aniline à partir d'un procédé moins efficace et deux fois plus cher. Celle-ci engage un procès qu'elle gagne en Cassation le 31 mars 1863. Paradoxalement, la loi française, destinée à protéger les inventeurs, se retourne contre eux et s'avère dans ce cas plus nuisible qu'utile. Il en résulte que de nombreux spécialistes français décident de s'expatrier - au point qu'on a pu comparer cette émigration à celle des huguenots après 1685 -, en général en Suisse, où il n'existe aucune réglementation sur les brevets. On peut dire que jusqu'à la fondation, en 1886, de Sandoz par deux Suisses, la chimie bâloise est largement une création de la chimie mulhousienne. L'arrêt du 31 mars 1863 apparaît comme l'accident historique qui fait perdre à Mulhouse l'un des plus beaux fleurons des industries induites par le développement de sa branche textile.
Bernard Vogler, L'Almanach de l'Alsace, p. 100.

Bien cordialement,
Philippe